Synopsis

« Cathédrale de soleil », le spectacle Musilumières 2013

1 – Victor Ruprich-Robert

Gabriel, mon cher fils, toi qui as choisi comme moi le métier d’architecte, je t’écris en cet automne 1885, pour te transmettre les précieuses connaissances apprises sur le chantier de la cathédrale de Sées.

2 – Fondations

Mon maître Eugène Viollet-Le-Duc m’a confié la délicate mission de sauver l’édifice. La fragilité de la cathédrale de Sées vient de ses fondations, qui reposent sur les décombres instables des monuments antérieurs : j’ai donc repris le sous-œuvre sur huit mètres de profondeur. En creusant, toute l’histoire des constructions précédentes s’est déroulée devant nos yeux.

3 – Orientation

Au début du XIIIe siècle, l’enthousiasme des cathédrales gothiques claires et élancées se répand sur tout le royaume de France. À Sées, l’évêque Sylvestre partage cette ardeur et lance la construction d’une nouvelle cathédrale. Il choisit un maître d’œuvre expérimenté en mathématiques et en astronomie, capable de penser les forces et de dessiner les poussées. Cet artiste bâtisseur a usé d’un style limpide qui permet à ses successeurs de prolonger son intuition : rendre visible la transcendance dans la perfection architecturale.

4 – Pierres

Le sous-sol de cette vallée normande est propice à l’art de bâtir : à la rencontre du massif armoricain et du bassin parisien, nous disposons de calcaires très différents d’aspect et de dureté, de pierres ponces, de terres argileuses, de schistes, de granits, de silex.

5 – Proportions

Admire, mon cher fils, la double unité de la cathédrale de Sées dans ses lignes horizontales et verticales. Ses proportions sont particulièrement pures : les rapports entre les dimensions sont simples, doubles ou égaux au nombre d’or. La géométrie gothique et l’art du tracé atteignent ici leur perfection.

6 – Bois

La vallée de l’Orne est entourée de forêts séculaires qui livraient aux compagnons médiévaux les plus belles essences : le chêne puissant, le châtaigner résistant aux insectes, le hêtre pour les coffrages, le tilleul pour les gabarits… Les arbres ont su transmettre leur majesté aux ouvrages des charpentiers : les Normands ont en effet conservé leur habileté ancestrale à façonner des nefs de navires conquérants.

7 – Épreuves

La foudre s’abattit sur le clocher nord quelques années après la dédicace. Les couleurs joyeuses peintes sur les pierres de consécration se flétrirent rapidement. Puis les longues rivalités entre Français et Anglais au cours de la guerre de Cent Ans endommagèrent profondément les murs. À peine la paix revenue, un feu accidentel détruisit la charpente, et le plomb des couvertures se mit à fondre sur les maçonneries. Au XVIe siècle, un bûcher fut allumé dans la nef par les calvinistes qui y jetèrent toutes les archives des confréries, ainsi que le corps de saint Gérard, ancien évêque de Séez.

8 – Flèches

Les deux clochers ajourés révèlent la hardiesse aventureuse, pour ne pas dire la témérité des architectes normands. Ces clochers audacieux semblent fragiles, comme en atteste l’épisode d’un dimanche du mois de juin 1516 où le peuple normand était rassemblé en grande multitude sur le parvis. Le soleil fascinait les yeux et échauffait tant la foule que plusieurs personnes crièrent qu’elles voyaient les hautes pointes des clochers penchantes, prêtes à tomber. Les assistants furent pris d’une telle panique que les estrades sur lesquelles l’évêque célébrait la messe furent renversées, les plus faibles jetés à terre et beaucoup moururent étouffés. Malgré toutes ces épreuves, les flèches de la cathédrale continuent de rayonner leur message de paix et de fraternité loin alentour.

9 – Ornementation

Les cathédrales offrent une forme d’apogée à l’art de l’ornementation. Chaque personnage a sa figure, son attitude, son histoire. Dans les endroits les plus cachés et les plus hauts, on trouve des êtres étranges. Personne ne peut les voir. Mais ils veillent, sortis du ciseau d’un apprenti ou issus de l’imagination d’un sculpteur chevronné.

10 – Cloches et orgue

Le métal s’associe à la pierre et au bois pour achever la cathédrale. Le bronze, fusion du cuivre et de l’étain, est maîtrisé par les orfèvres comme par les fondeurs de cloches. Les trois cloches de Sées s’appellent Marie-Thérèse, Jeanne-Marie et Pia, elles sonnent le do, le ré, le mi. Leurs sept tonnes ne peuvent se balancer que dans un beffroi à la fois résistant et flexible, dont j’ai lancé la restauration.

11 – Rosaces

Gabriel, j’ai promis de te révéler le secret de la cathédrale de Sées : il faut alors s’arrêter sur ses vitraux. Ceux qui nous restent du XIVe siècle, dans le chœur, sont l’œuvre d’un grand maître verrier, qui jouait avec le verre et le plomb comme un artiste, et maniait le langage de l’image comme un prédicateur. Jean-le-baptiste, Osmont, Nicolas, Augustin, Marie, Élisabeth, les pèlerins d’Emmaüs… tous nous invitent à passer de l’ombre à la lumière. Et puis il y a les deux rosaces, remarquables, sublimes, le trésor de Sées.

12 – Transmission

Mon cher Gabriel, j’ai apporté ma pierre à un édifice historique qui sera sans doute toujours en construction. J’ai choisi de rentrer dans l’âme de la cathédrale et non de la réinventer : cette démarche d’humilité m’a permis une communion d’esprit avec le premier maître d’œuvre.

Visuel de l'affiche du spectacle Musilumières 2014